Quand le dragon s'empare de la Tour

Alicent Hightower & Rhaenyra Targaryen

Un. Deux. Trois.

Rhaenyra soupira, levant les yeux au ciel. Les cloches sonnaient à travers la château. Aujourd'hui était un jour spécial. Le mariage de Viserys et Alicent. L'annonce était arrivée brusquement et avait déboussolé la princese Targaryen. Elle n'avait rien vu venir. Un an à peine après la mort de sa mère, voilà que son père reprenait épouse. En la personne de son amie Alicent.

Quatre. Cinq. Six.

La jeune fille de neuf ans était particulièrement de mauvaise humeur, aujourd'hui. Rien n'allait comme elle l'avait prévu. Depuis la mort de sa mère, tout semblait plus terne, plus triste. Elle n'était plus véritablement la même, elle l'avait senti malgré son jeune âge. Viserys aussi, avait changé.

Sept. Huit. Neuf.

Les gouttes d'eau tombaient lentement depuis sa main jusqu'à la surface de l'eau de son bain. Elle fut sommée de sortir pour se préparer à la cérémonie, ce qu'elle fit, bon gré mal gré. Tandis qu'elle enfilait sa traditionnelle robe Targaryen, elle ne pipa mot, perdue dans ses pensées. L'annonce du mariage l'avait plongée dans une colère noire et une incompréhension totale. Les discussions qu'elle avait eues avec son père ensuite avaient été agitées. Elles avaient toujours revêtu un caractère complexe. Mais celle-ci avait été bien plus dévastatrice, la jeune princesse ne comprenant pas la décision de son père.

Coiffée d'une tresse Targaryen, elle sortit de ses appartements pour tomber nez à nez avec son oncle, Daemon.

Son sourire revint et elle sauta dans ses bras, le serrant aussi fort qu'elle le pouvait. Au moins, certaines choses ne changeaient pas. Ils furent interrompus par la garde qui sommait leur présence dans la grande salle où la cérémonie se déroulerait. Avant de le laisser partir, elle lui dit, à voix haute, consciente que personne d'autre ne pourrait les comprendre de toute façon :

« Emmène-moi avec toi, partons tous les deux loin d'ici ! » supplia-t-elle en haut valyrien.

Sa petite moue décrocha un sourire sur son visage, puis il disparut, lui disant qu'ils se reverraient bien vite. Rhaenyra se renfrogna en lâchant un soupir contrarié. A son arrivée dans la grande salle, elle prit sa place et attendit l'arrivée de la mariée. Alicent avait toujours été jolie. Rhaenyra s'en était rendue compte. Mais elle ne comprenait toujours pas la décision de son père. Elle la suivit du regard tandis qu'elle faisait les quelques pas qui la séparaient de Viserys, seigneur de Peyredragon, avec son frère. Rhaenyra ne dit rien, rongeant son frein. Après l'échange de manteaux et le baiser, chaste mais qui était déjà de trop pour la jeune Targaryen, Rhaenyra allait s'éclipser vers la table des victuailles lorsque sa nouvelle mère vint à sa rencontre.

Elle laissa ses yeux violets se promener sur elle avec un regard glacé. Elle était jeune, mais pas naïve, et savait déjà ce que signifiait cette union pour son propre avenir. Puis son regard dévia vers Daemon, qui la regardait avec un regard intéressé. Puis vers son père, qui espérait sans doute qu'elle se montre docile. Et vers quelques convives, qui écoutaient avec attention ce qu'elle pourrait bien répondre. Eux, si prompts à retourner leurs vestes dès qu'un héritier mâle naîtrait. Leur avis importait peu.

La princesse laissa un court silence s’installer, savourant l’attente d'Alicent avant de répondre d’une voix douce, mais chargée d'ironie :

« Vous pouvez essayer, mais je doute que cela change quoi que ce soit. »

Sans attendre une réaction, Rhaenyra lui offrit un sourire presque cruel avant de tourner les talons, son regard balayant la salle comme si elle cherchait déjà une échappatoire à cette mascarade.

Quand le dragon s'empare de la Tour

Alicent Hightower & Rhaenyra Targaryen

Rien ne plaisait à la jeune Rhaenyra dans cette pièce. Le plafond était haut mais elle avait l'impression d'étouffer. Tous, ici, présentaient leurs hommage au jeune couple pas si jeune, offrant sourires et courbettes pour gagner un peu de considération de la part de Viserys ou de sa nouvelle épouse. Tous, sauf Daemon peut-être, qui avait sans aucun doute passé l'âge pour de telles sornettes. Et puis, il ne mangeait pas de ce pain là. C'était un trait de qualité que la princesse aimait beaucoup chez lui. Il était brutal, oui, mais aussi brutalement honnête. Elle n'avait pas à se méfier avec lui. Sa réponse cinglante sembla choquer quelques uns des hôtes qui retinrent un gloussement en écarquillant les yeux. Son père, lui, sembla se renfrogner et la toisa avec un regard dur. Seul Daemon, là encore, brillait par sa différence : il ne pouvait s'empêcher d'arborer un sourire mutin.

Alicent affirma ne pas vouloir prendre la place d'Aemma Arryn, et la simple mention de sa mère plongea Rhaenyra dans le désarroi. Emotion à laquelle elle répondit de façon véhémente :

« Vous dites ne pas vouloir la remplacer, pourtant elle est morte, et vous vous tenez là, dans un manteau aux armoiries de ma famille. Permettez-moi d'en douter. »

Mais Alicent semblait décidée à ne pas lâcher l'affaire, au plus grand déplaisir de Rhaenyra. Elle revint vers elle, proposant une marche pour s'éloigner un peu. La princesse écouta d'une oreille distraite les remarques de sa nouvelle belle-mère, écœurée par la tournure des événements. En réalité, elle se concentrait davantage sur le bruit de ses propres pas, comme une manière de s'enraciner dans un monde qui lui semblait de plus en plus étranger.

Lorsque Alicent acheva sa tirade sur une série de questions, Rhaenyra ralentit, le regard toujours fixé droit devant elle. Elle prit un moment avant de répondre, choisissant soigneusement ses mots, comme elle l’avait vu faire tant de fois par des adultes qui se disaient bien-pensants. Elle n'était qu'une enfant, certes, mais pas une idiote.

« Peu importe qui aurait épousé mon père » commença-t-elle d’un ton froid, « cela ne change rien. Je n’aurais pas regardé autrement quiconque se tenait là, dans une robe trop grande pour elle, avec des promesses d'un fils providentiel que mon père attend désespérément. »

Rhaenyra se tourna vers Alicent, ses yeux brillant d'un agacement glacial. Elle voulait savoir, réellement ? Alors Rhaenyra lui dirait, en souvenir d'un lien qui avait été consumé par les flammes de la trahison. La Targaryen pointa son doigt vers elle, faisant fi de toutes convenances dues pourtant à la suzeraine de Peyredragon.

« Mais vous, vous étiez mon amie. Vous étiez là, à mes côtés, à me consoler alors que je venais de perdre ma mère, à partager mes craintes et mes doutes, à rougir face aux garçons, à demander leur faveurs lors de tournois, .... Alors que tout ce temps, vous ne faisiez que comploter pour épouser mon père. »

Le souffle rendu court par l'intensité de l'émotion, Rhaenyra retint ses larmes, puis baissa le doigt, la toisant de toute la hauteur dont elle était capable malgré son jeune âge.

« Alors pardonnez-moi si je n'ai pas envie de discuter. »