Alanna serra les dents pour retenir un cri. La jeune fille à ses côtés tremblait comme une feuille et ses gestes étaient imprécis ce qui rendait l'opération d'enlèvement de son épaulière de cuir hautement douloureuse pour la fer-née. Depuis quelques minutes, elle avait rejoint une pièce annexe à la grande salle de la forteresse de Dix-Tours dans laquelle s'amassait une partie de la population de l'île. Quelques heures plus tôt, Daemon Targaryen et son dragon avaient fondu du ciel vers la ville de Dix-Tours, enflammant tout sur son passage. En mission pour Dalton, Alanna s'était trouvée sur site, près du château, lorsque les premiers cris lui étaient parvenus. Quelques passages avaient suffi pour mettre la ville à feu et à sang et à créer la panique dans les ruelles. Le peuple avait tenté de s'abriter, tant bien que mal. Mais comment s'abriter d'une menace venue du ciel ?

La météo avait été une bénédiction pour eux. La pluie torrentielle qui s'abattait sur la ville avait participé à l'extinction des feux draconiques, et au bout de plusieurs heures, il ne subsistait que des braises. Mais des morts, aussi. Le bilan n'était pas si lourd, mais dans le coeur d'Alanna, c'était le peuple tout entier qui avait été victime de l'attaque gratuite du Targaryen qu'elle ne comprenait pas. Etait-ce une vengeance ? Un plan machiavélique quelconque pour justifier cet assaut ?

La jeune fer-née avait eu chaud, littéralement. Près du château, elle devait sa survie à son plongeon désespéré à la dernière minute pour s'éloigner du rebond des flammes contre le sol trempé. Son épaule droite néanmoins avait pris feu suffisamment longtemps pour que le cuir qui constituait sa pièce d'armure fonde sur sa peau, créant un mélange de chair, de sang et de suie duquel il faudrait absolument se débarrasser. C'était dans cet objectif qu'elle avait rejoint la salle et qu'elle était à présent aux côtés d'une jeune femme-sel, sans doute, à en juger par ses traits fins, presque enfantins. Mais la panique n'aidait pas la pauvre qui ne parvenait à rien avec ses doigts engourdis.

Après un énième essai inconcluant, Alanna perdit patience.

« Laisse-moi, je vais me débrouiller. » lâcha-t-elle entre ses dents serrées tandis que la jeune fille s'éloignait.

Autour d'elle, c'était calme. Trop calme. La sidération, sans doute, après l'attaque. Certains regardaient dans le vide, hagards. D'autres se nettoyaient. Plaies, brûlures, os cassés dus à des chutes ou des coups. Si ce n'était pas la guerre, cela y ressemblait forcément un peu et cela avait de quoi raviver moult souvenirs à Alanna, qui se rappelait forcément des campagnes navales menées avec Dalton. Ceci étant, ils en sortaient souvent vainqueurs, de ces campagnes.

Son coeur se serra à la pensée de Dalton avant de se souvenir qu'il n'était pas sur place. Alester non plus, pas plus que les seigneurs auxquels elle avait l'habitude de faire des remontrances mais qu'elle aimait bien quand même. Bien. C'était déjà cela. La jeune femme s'éloigna légèrement pour trouver un miroir, et elle s'assit, tournant sur elle-même pour constater l'étendue des dégâts. Elle avait enlevé la plupart de ses vêtements, touchés par les flammes du dragon. Elle ne portait plus qu'une brassière en tissu qui recouvrait sa poitrine et un pantalon en toile à moitié sec. La zone de brûlure était relativement localisée, ce qui était bon signe. La pluie avait fait son office, limitant sans doute les conséquences. Une couche de suie rougeâtre était douloureuse au toucher et s'étendait jusqu'à la naissance de son cou et jusqu'à sous son aisselle droite. Plus proche de l'épaule, le rouge se transformait en noir dont la chaleur infligée pouvait encore crépiter tel qu'elle le ressentait. Son épaulière serait à jeter néanmoins, carbonisée qu'elle était. La partie difficile arriverait maintenant, alors qu'elle essayait de se débarrasser des morceaux de cuir qui se mélangeaient avec sa peau. Tandis qu'elle tripotait la zone, cherchant un moyen de réussir, la nausée la saisit et elle dut s'arrêter pour reprendre son souffle et ne pas vomir. L'attaque avait été rapide, brutale. Elle pouvait encore sentir l'odeur de chair carbonisée rentrer de force dans ses narines.

Pire, elle avait la sensation qu'elle ne s'en débarrasserait plus jamais.

Alanna attrapa un long coutelas qu'elle entreprit de glisser entre peau et cuir afin d'essayer de s'en séparer. Les minutes étaient longues. La lutte acharnée mais le résultat faible. Il lui semblait que l'agonie durait des heures alors qu'il ne se passait vraisemblablement que quelques minutes. Petit à petit, elle retirait des morceaux de chair brûlée qu'elle jetait dans une petite assiette juste devant elle. Lorsque la porte s'ouvrit avec fracas, elle leva les yeux dans le miroir pour y voir par reflet Dalton qui venait d'arriver. Le soulagement fut de courte durée et ne parvint pas à éteindre la douleur lancinante qui lui brûlait la peau. Elle y croisa également son propre regard et l'image qu'elle renvoyait déclencha une nouvelle vague de douleur par frisson. Son visage était maculé de suie, humide encore par les gouttes de pluie. Quelques zones plus rouges encore indiquaient des brûlures résiduelles qu'elle ne sentait même pas. Quelques unes de ses mèches blondes avaient pris une couleur noire sur les pointes, montrant qu'elle avait été exposée de bien trop près à la flamme draconique.

Les yeux rendus humides par la douleur, elle s'adressa à son suzerain d'une voix rauque, laissant ses yeux le quitter pour retourner sur son épaule meurtrie :

« Je viendrais bien te saluer, mais je suis un peu occupée là. »

Putain de dragon.

Dalton avait pénétré le hall avec l'assurance d'un chef et la colère d'une tempête. Elle l'avait senti sans même avoir eu besoin de se retourner. Elle l'avait reconnu, à sa démarche, à son souffle, et à toutes les petites choses qui le trahissaient pour qui le connaissait. Alanna glissa un dernier morceau de cuir brûlé dans la petite assiette, le souffle court, serrant la petite table de bois de toutes ses forces comme pour faire diminuer les vagues de douleur qui irradiaient son bras. Dalton était enragé. Son regard semblait porter autant de flammes que celles du dragon lui-même. Lorsqu’il balaya sa question d’un geste, elle leva un sourcil, son expression mêlant douleur et soulagement de le voir là, masquant péniblement sa surprise de la marque d'affection qu'il lui portait en lui demandant en premier comment elle allait.

« Je survivrai. » lâcha-t-elle, dents serrées tandis qu'une nouvelle décharge brûlante submergeait ses sens.

Par le reflet du miroir brisé face à elle, Alanna l'observa tandis que ses yeux à lui parcouraient son corps partiellement dénudé. Il ne provoqua aucune gêne ni embarras, plutôt une curiosité et une espèce de vulnérabilité qu'elle ne comprit pas réellement. Et sous ce regard inquisiteur, elle voyait très clairement l'embrasement de sa colère à lui qui témoignait de son surnom bien connu de tous ici : le Kraken Rouge. Elle se retourna vers lui, après avoir jeté un ultime regard au petit tas de cuir cramé.

« J'en ai vu d'autres, tu sais. C’est pas un foutu dragon qui m’empêchera de quoi que ce soit. » lui dit-elle dans un murmure, bien loin du ton haut et fort qu'elle utilisait habituellement.

Même s'il avait bien failli, ce foutu dragon. Son cri terrifiant résonnait encore dans les oreilles de la jeune Wynch, annonciateur de la plus grande terreur et de la plus haute souffrance imposée par le feu. La questions de Dalton, légitimes, la déstabilisèrent. Pourquoi pensait-il qu'elle en savait quelque chose ? La Wynch ravala sa fierté, dont la démonstration la fatiguerait plus qu'autre chose et elle désigna une petite pièce fermée, non loin d'eux, d'un geste du menton.

« Les Harloi sont ici, à l’arrière. Vivants, bien que certains aient été blessés par les débris lors des attaques. Quant à une justification... Rien. Pas un mot. Juste ce putain de dragon qui descend du ciel sans avertissement. Il s'est pas arrêté pour nous donner une missive avant de nous cramer la gueule. » dit-elle un peu sèchement, avec amertume, détournant un moment le regard.

Alanna jeta un coup d'œil vers les survivants dans la salle, amassés pour certains autour d'un brasero. Son crépitement rappelait le feu du dragon et lorsqu'elle le réalisa, son esprit se paralysa, empêchant toute concentration sur le moment présent, même si elle l'essayait de toutes ses forces. Les traits déformés par la peur des hommes et des femmes autour d'elle ne faisaient que lui rappeler tout ce qui s'était passé et ce qui brûlait encore, dehors, malgré la pluie et les efforts pour y mettre fin. Elle se força à s'en décrocher, captant l'énergie de la colère de Dalton et s'en nourrissant pour parler de nouveau.

« Est-ce un message, un avertissement ? Une folie intimée par des siècles de fureur meurtrière qui n'ont aucun sens ? Une ultime démonstration que l'honneur des Targaryen n'existe pas ? J'en sais rien. Et j'en ai rien à foutre. La vraie terreur vient de la mer et non du ciel. S'ils veulent nous faire taire, alors on doit crier encore plus fort. »

Un frisson parcourut son échine, déclenchant une nouvelle salve de douleur qui la fit grimacer. Malgré la fatigue et la nausée qui menaçait de revenir, elle recapta son regard un instant de plus, presque provocatrice dans son attitude, malgré la douleur et sa dégaine qui devait faire peur à voir.

« Regarde ce qu'il a fait. Regarde bien. »

Et encore, le bilan n'était pas si lourd.

« La pluie nous a sauvé, cette fois. Mais que fera-t-on, la prochaine fois ? Quand ce sera Pyk et tes gamins qui seront sous le feu du dragon ? Quand ce sera Holt de Fer, mon frère et sa femme ? »

Alanna se pencha pour lui lancer un linge propre imbibé d'un cataplasme.

« Je préfère autant ne pas avoir à le faire seule. » lui dit-elle les yeux brillants, faisant référence au nettoyage de sa plaie et à l'application du bandage.