L'envol du vautour

Je regardais un jeu de couverts, les lames étaient en argent et la base en une sorte d’ivoire sombre, des têtes de chèvres incongrues et laides, parfois tirant la langue ornaient chaque couteaux, fourchettes et cuillères. J’attrapais une louche, grand, avec une sorte de bouquetin grimaçant en poignée. “Qu’est-ce que c’est que cette horreur ?” Les préparation de mon voyage jusqu’à Lancehélion étaient méthodiques, à vrai dire chaque préparation pour n’importe quel voyage méritait une semaine entière de mon attention. Chaque petit détail devait être réfléchi. Après tout, je n'étais pas un vagabond qui pouvait prendre les routes comme il le désirait, j’étais Lord Mors Noirmont et un déplacement de ma part était un éloge aux lieux que je visitais. Il était hors de question que je me rende auprès de la famille Martell avec des malles à moitié vide, sans un attelage spectaculaire et sans tenir ma réputation de protecteur des arts. Ainsi nous nous retrouvions à emballer diverses tapisseries, des vases de cristal, des armures ouvragées et des tissus les plus soyeux qu’un homme puisse toucher. J’emportais des barbes, des musiciens et leurs instruments, des artisans et leurs outils, tout aussi divers et difficiles à transporter qu’ils pouvaient l’être. Mais rien n’était trop beau pour le seigneur de la Maison Noirmont qui depuis ses riches montagnes allait déverser des flots de beauté. Mais pas ce jeu de couverts, assurément.
“Lord, il s’agit d’une commande que vous aviez faites, c’est originaire de Qohor. Ce genre de choses…” Vu l’expression je n’étais pas le seul à partager du dégout à la vue de ses immondes étrangetés. “Est vraisemblablement très populaire là-bas.”
“Mh, vous dites que c’est moi qui en avait fait la commande ?”
“Et oui… Vous aviez vu des assiettes aux motifs comparables et vous aviez alors parlé du… Charme brut et de laideur transformée en beauté par le travail acharné d’artisans étrangers, vous disiez que l’exotisme ne devait pas nous effrayer mais au contraire, ouvrir notre appétit en matière de curiosité artistique.”
“Moi ?” Je posais mes mains sur ma poitrine qui si quelqu’un venait de m’accuser du pire des crimes.
“Vous-même.”
“Mais quand ? Il y a longtemps, non ?”
“Il y a… deux lunes ?” Je pouvais lire le début d'un air circonspect.
“Mais bordel de merde ! Vous vous foutez de ma gueule ?”
“Je n’oserais pas lord.” Le domestique avait un visage tellement sérieux que j’étais certain de ses dires. Le vieil homme semblait si attaché à sa tâche, sérieux, dévoué à la sauvegarde de mon patrimoine… On aurait dit qu’il était incapable d’exprimer une émotion positive. “Très bien, très bien, foutez moi ça hors de ma vue. Il est absolument impensable d’apporter ça avec nous jusqu’à Lancehélion. C’est… Mais enfin, c’est dégueulasse bordel ! Regardez ! Regardez moi cette chèvre là, on dirait… Ils ont sculpté la bave ! C’est de la chiasse ! De la chiasse ! Une bonne vingtaine de petites chiasses, là, comme ça, en face de moi, dans mes malles.” Je pointais l’un des couverts à la face de quelques courtisans. Enfin, dans un soupir énervé je me précipitais hors de la pièce.

Traversant quelques couloirs du château de Noirmont, à travers les cours ombragé et les murs rouges de quelques salles d’armes richement décorés, j’arrivais enfin dans les appartements, joliment fleuri pour l’occasion, de ma femme. Traversant une première pièce décorée de peintures équestres, j'atterrissais dans un corridor. Là je remarquais que quelques domestiques m’avaient suivi docilement. “Non c’est bon, retournez faire… des trucs.” Ils repartirent encore plus rapidement que j’étais arrivé. Finalement, à travers une porte donnant sur la chambre de mon épouse, j’entendais quelqu’un s’afférer.
“Ma chère et tendre ? Il faut absolument que je vous vois.” Je me collais contre la parois de la porte, les mains à plat contre le bois. Mes doigts caressant les dessins qu’un arbre avait fait en poussant. “Mon aimée… C’est vraiment lassant ses préparatifs… Je sais, je sais, c’est moi qui vous impose un énième voyage et je sais que vous abhorrer cela. Vous êtes bien bonne de m’accorder tant de largesses… Mais même un nom aussi puissant que le mien doit plier face au Soleil de Lancehélion, qu’aurait-on dit, si un vassal aussi prestigieux que moi se serait fait porter pal pour la succession des Martell ?”

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L'envol du vautour

Je me remettais à peine de ma confession improvisée que ma fille, mon petit bonheur, me surprenait dans le dos “bouh !” Je mimais donc la surprise, l’effroi surjoué. “Par les Sept ! J’ai cru qu’un mauvais esprit allait s’en prendre à moi !” Mais même mon petit jeu ne pouvais cacher le sourire d’un père heureux, heureux de voir sa fille courir jusque dans les bras de sa mère, je gardais un sourire béat, admirant cette scène magnifique qui donnait raison à tout ce que j’avais fait jusqu’ici, qui donnait un sens à mon existence.
Mais je devais me remettre à l’idée que si mon épouse et ma fille était dans mon dos… Qui était derrière cette porte ? Jayna répondait à la question avant qu’elle puisse franchir mes lèvres. Et je croisais, interdit le regard gêné, où un peu moqueur d’une domestique. Je me sentais bien idiot.

Je suivais bien sagement Jayna jusque dans cette chambre où des malles s’étaient remplies, mon épouse partageait mon goût des voyages pesant, si avions pu apporter tout Noirmont avec nous la chose eut été bien plus simple. “J’étais certain que c’est à vous que je… Enfin ! Que de préparatifs ici aussi.” Je regardais Jayna, qu’elle était magnifique et forte, j’étais le dornien le plus chanceux du monde.

Mais nous devions parler sérieusement, qu’est-ce que c’était ennuyant… J’aurais voulu lui dire qu’elle était la femme la plus extraordinaire qu’il m’était donné d’avoir rencontré, j’aurais voulu lui dire que chaque instant avec elle était une bénédiction, que jamais je ne pourrais me passer d’elle et que même si elle détestait la capitale et les voyages, j’étais tellement ravis qu’elle puisse venir avec moi, sa présence était le plus beau cadeau que les Sept m’avaient fait. Mais il fallait être sérieux et préparer ce voyage, ses raisons, les attentes… la politique. Oh, j’aimais la politique, elle était ma raison d’être. Le seigneur de Noirmont est forcément plongé dedans, notre existence y est imbriqué mais si seulement j’avais pu être un frère cadet pour jouir de l’exquise présence de l’amour de ma vie à mes côtés chaque instant, si j’avais pu écouter chaque battement de son coeur et m’y plonger comme dans une musique rythmique à l’instar de ses chants militaire, j’aurais calqué toute ma vie sur cette cadence.

Ses cheveux blonds en cascades… Je l’admirais, plongeant mon regard sur les traits doux de son visage. “Ce que j’attends de vous…?” La réalité me revenait, comme lorsqu’on se réveille d’un songe que l’on aurait préféré voir s’éterniser. “Mh… A vrai dire je pensais que ce voyage serait simplement une sorte de courtoisie, que nous n’aurions qu’à… Transmettre nos bons sentiments, ça aurait pu être suffisant, n’est-ce pas ?” D’amour ébahi, une ombre passait sur mon visage et c’est Jayna qui me rappelait au monde réel. J’enlevais de la poussière accumulée sur mes vêtements sombres, mon visage, je le savais, avait complètement changé et le sourire fin, le regard rempli de tendresse, tout cela c’était évanoui et un air contrarié avait remplacé tout cela.

“Malheureusement ça n’est pas suffisant. Pas du tout. J’ai reçu des informations de la capitale depuis le début de nos préparatifs. Et figurez vous qu’il y a déjà un invité à Lancehélion… Et pas n’importe quel invité !” Je laissais un instant de suspens comme si j’attendais que Jayna trouve, par un hasard impossible, le nom du gredin présent chez les Martell. “Bref ! Je ne vous ferai pas attendre plus longtemps mais ce n’est ni de quelques seigneurs qu’il faudra me tenir éloigné, ni de quelques ambassades essossii !” Mon ton se faisait plus ombrageux et une pointe de colère semblait noircir mon discours. “Aemond Targaryen avec sa bête, Vaghar sont à Lancehélion, où visiblement ils discutent avec notre Princesse Aliandra Martell !” Cette fois, la phrase était crachée, presque sifflée comme un serpent. “Vous vous rendez compte ? Vaghar, ici ! A Dorne !” Je laissais ma main traîner sur une commode, tapotant nerveusement des doigts sur le bois laqué. “C’est… c’est… insensé ! Vous devrez réduire mes ardeurs quand à la Princesse elle-même ! Je ne comprends pas ! Il me semblait qu’elle avait en tête la neutralité dornienne ! Enfin bon sang, c’est elle qui voulait une négociation plus ferme avec Baratheon, c’est elle qui voulait… qui a eu Corlys Velaryon ! Pour tout vous dire, j’espérais pouvoir la mettre en garde, que personne à Port-Réal ne s’imagine que nous soyons dérrière le meurtre de la reine Laena ! Et… et voilà qu’elle invite les suspects les plus flagrants, la bande de Peyredragon ! C’est, c’est… Enfin elle est complètement conne où quoi cette petite connasse ! Merde à la fin !” Je tapais du poing contre le bois, faisant glisser une plume et un encrier de quelques pouces.

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